Jouer aussi pour eux. Jouer pour ceux qu’on appelle pudiquement : « les personnes âgées », jouer pour ces spectateurs que les institutions nomment une part du « public empêché »… Jouer chez les petits vieux.
Jouer dans les drôles de maisons où ils se retrouvent à la fin, quand le corps les abandonne, quand ils abandonnent leurs corps, quand la tête s’absente un peu parfois. Jouer dans les maisons de retraite. De « retraite » oui, maison en retrait, à l’abri des regards gênés, apeurés, que nous portons souvent sur eux, nous, les bien portants, les jeunes, les pas encore assez vieux. Jouer pour ces vieilles dames et ces vieux messieurs, en chaise roulante ou assis bien droits, jouer pour leurs regards vifs ou absents, jouer pour leurs sourires fragiles et francs, jouer en les regardant bien dans les yeux pour vivre avec eux un moment, jouer pour leur donner encore à rêver, à penser, à vivre, à ressentir. Jouer et partager l’émotion des textes, l’émotion, ce frisson, ce mouvement intérieur, cette pulsation qui indique que, oui, eux et nous, sommes en vie. Jouer et donner à entendre la correspondance de Camille Claudel dans ces lieux clos, ces lieux de dépendance, d’isolement, de solitude, d’angoisse, de vie et de mort. Jouer et entendre tous les échos que le texte fait résonner dans leurs vieilles têtes qui dodelinent. Jouer et accueillir aussi leurs larmes, serrer leurs mains, boire un petit café avec eux après la représentation, parler, échanger, entendre leurs impressions scandalisées face à l’injustice subie par cette femme, jouer et rire avec eux, malgré la déglingue des corps, jouer pour ces beaux visages ridés, jouer pour les équipes courageuses qui les entourent, admirer l’énergie et la force joyeuse qui parfois les animent, alors, pour eux,
jouer.
Bravo à Françoise de prendre tout ce temps pour eux, sans rien attendre en retour.
Un bel hymne à la vie, la vie dans toute sa dignité humaine, jusqu’au bout.
MERCI