Depuis que je suis arrivée dans ces montagnes, il se promène avec moi, mêlant anthropologie et poésie.
Mes proches surgissent de partout, depuis quelques années, ils sont les arbres, ils sont la rivière, ils sont la roche. Ils sont aussi un petit bout intérieur, parfois insoupçonné, parfois très bien caché, un petit bout des spectateurs qui se tiennent devant moi.
J’ai une famille éparpillée, dispersée, une famille qui se recompose au gré des rencontres, des commandes, des créations. J’ai une famille de personnages, en moi, dans mon petit théâtre, qui non satisfaite de babiller dans un chaos souvent éreintant, comme une volière qui pépierait sans arrêt, j’ai une famille de personnages qui demande inlassablement à sortir, à se montrer.
Dans cette montagne, qui m’était (et me reste pour bonne part) si étrangère, ils se sont levés, les personnages, pour que je les raconte. Si on commence à regarder vraiment les gens, les vivants et les morts, alors, on est fichus, on est fichus parce qu’on est émerveillés, presque toujours, par la vie, par leurs vies. On est fichus parce qu’alors il s’agit de partager cet émerveillement, sinon, à quoi bon ?
Les montagnes qui encadrent Chamonix sont altières, sublimes, plus que belles, terrifiantes, protectrices. Complexes, contradictoires. Comme ceux qui les habitent. Comme nous.
Regarder les photos, contempler ceux qui nous regardent depuis leur cadre noir et blanc, ou merveilleusement colorés, (comme dans les photos de Lartigue découvertes aujourd’hui), ça n’est pas se complaire dans un autrefois poussiéreux, ça n’est pas de la nostalgie, non, c’est le désir de les regarder assez, au fond des yeux, depuis leurs gravures, leur photos et leurs cartes postales, depuis leur nouvelle drôle de cabane, enfermés là pour l’éternité, dans un présent immuable, les regarder pour qu’ils osent chuchoter, murmurer ce qu’ils ont traversé.
Vendredi 17 juillet 2015, on rendra hommage à Michel Croz. Qui se souvient de lui ?..
J’ai aimé me plonger dans les archives, écouter les histoires sur lui et ses compagnons, comprendre la folie magnifique de son ascension et l’horreur de sa disparition.
Vendredi, dans un petit village de la vallée du Mont Blanc, à Argentière, au pied du glacier, sur l’église et le presbytère, à la nuit tombée, on se souviendra. En regardant ses yeux noirs d’ogre taiseux, beau comme un roc, j’ai imaginé la voix de l’une de ses soeurs, leur terrible solitude à sa mort, leur colère, et leur tristesse. Les images défileront comme dans ses pensées et ses rêves, comme dans le journal tenu par un vieil alpiniste anglais pétrifié de retenue, d’admiration et de culpabilité, Sir Edward Wymper. On entendra aussi la voix d’une jeune descendante de Michel Croz, la soprano Elisabeth Croz, envahir la nuit, faire tinter les étoiles, et chanter cette sacrée montagne.
Ce sera vacillant, vivant, comme dans mon petit théâtre intérieur.
La vie coule si fort dans ces très belles paroles, elle avance, elle est touchante, merci pour cette rencontre. Hâte d’être à vendredi, pour entendre ces petites voix brillamment sortir sur le devant de la scène!
C’est beau. On est avec, on est au dedans de toi…
Merci Françoise !!!!!