Mon petit théâtre intérieur, Épisode 2

D’abord, au commencement, au bout de l’allée, il y a une maison. Celle qu’on a aimée, dont on a rêvée, celle qui a abrité nos souvenirs d’enfant, nos cauchemars, nos solitudes, nos rires, nos fêtes, nos silences.

Celle dont il a fallu se séparer. Parce qu’elle coûtait trop chère, qu’elle était trop loin, trop vieille, trop exigeante. Comme une vieille dame un peu excentrique, une grand-mère de pierres, de murs, de jardins, d’arbres et de potager. Une qui ouvre ses portes quand l’enfant est triste, incompris, délaissé. Une qui offre la fraîcheur derrière les volets clos, la torpeur dans la poussière du grenier, le craquement familier et inquiétant de ses parquets. Une vieille dame de pierres qui fait peur le soir, pour rire, puis qui rassure. Une qui est là quand la vie manque de bras pour nous enlacer.

Alors, comment s’en séparer ?..

Peut être en décidant de la retrouver à travers d’autres murs, d’autres escaliers, d’autres vergers. Comme on trouve, sans les chercher, quelques traits de l’aimé dans le visage, dans les mains ou la voix d’un ami, ou dans le regard d’une inconnue, sur le quai d’une gare. Et ils ressuscitent alors, nos chers disparus. Un petit bout de leur âme vient effleurer notre présent, égratignent et caressent nos coeurs, avec la douceur d’une rose qui griffe.

Vous vous souvenez peut être du très beau film de Tavernier, « Un dimanche à la campagne ». C’est drôle, les sentiers que prend parfois notre esprit…  Il m’est revenu en mémoire il y a quelques jours, et j’ai reconnu sous les traits d’Irène, magnifiquement incarnée par Sabine Azéma, le personnage que j’ai imaginé il y a un mois, pour notre dernière création, « Un thé chez Mademoiselle de Fortis ». Laetizia de Fortis a bien existé, elle a vécu dans le château de Clermont en Genevois, puis l’a vendu pour aller vivre au bord de la mer avec l’homme qu’elle aimait. J’ai imaginé qu’elle recevait, pour la dernière fois, quelques amis. Nous sommes dans les années 20, elle rêve de sortir du cadre, de se délier des conventions qui l’étouffent, et, elle le fait.

Pourquoi pas ? « ça ne se fait pas, mais je le fais quand même ! » Elle est joyeuse, fragile, drôle, enfantine, un peu grandiloquente parfois, primesautière et triste, elle est comme j’aurais rêvé que fût une de mes tantes, une grand-mère, une de celles qui nous regardaient sans nous voir, avec leurs regards froids, éteints, morts, enfermés dans leurs bustes de pierre. Comme fut peut-être une aïeule lointaine que je n’ai pas connue, mais qui se manifeste là, en me tirant doucement par la manche, avec un brin de mélancolie, comme un joli papillon de nuit. Ses amis réunis pour la dernière fois, ce sont les spectateurs. Et puis, Jeanne. Jeune fille au service de Mademoiselle de Fortis, petite paysanne devenue bonne, femme de chambre, et bien plus : confidente, cousine de coeur, choisie, élue. Elles font le tri dans la maison, elles s’affairent, vont dîner au bord du lac, se souviennent, et jouent.

La création théâtrale est pour moi un creuset, où les textes lus et aimés se mêlent au « pays dont on ne revient jamais », l’enfance faite d’épines et de rondeurs. Ici, quelques fragments de « La Cerisaie », la voix des auteurs qui nous fredonnent une musique familière, Virgina Woolf et ses souvenirs, et le désir accompli d’aller ensemble de « l’autre côté », comme dans « La Rose pourpre du Caire », pour réunir les spectateurs et les acteurs. Ici, on ne traverse pas l’écran, mais on s’assied à côté des personnages, on les entend respirer, on savoure avec eux une madeleine, on voudrait les consoler, on rit, on se souvient.

Ensemble, dans cette maison-là.

(samedi 18 juillet et dimanche 19 juillet, 14h et 17h, Château de Clermont en Genevois)

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